samedi 8 septembre 2012

Petit précis de zoologie en zone scolaire (épisode 1)


Le kakou

Le kakou (on dit moins la kakoute : pourtant certaines filles font le kakou) est un animal de taille et de corpulence variables s’épanouissant dans les atmosphères tempérées des salles de classe. Plus la température monte, plus le kakou se kakouïse.
Le kakou atteint sa maturation à l’âge de 15 ans, lorsqu’il entre au lycée, et se maintient dans son état de perfection kakou jusqu’à 18 ou 22 ans, selon son talent à se faufiler à travers les mailles du filet scolaire.
Les synonymes de kakou sont : chieur, tête de nœud, bogoss, enculé de sa race, caïd, branleur, petit con, fouteur de merde ou gros relou selon le locuteur et son degré d’exaspération.
Tous ces termes s’emploient également au féminin et les kakous en utilisent certains.
Il arrive que les kakous, se reconnaissant entre eux, émettent des bruits proches de l’articulation que les naturalistes transcrivent d’ordinaire par wesh wesh.

Attitude

Le kakou se tient mal en classe. Il bouge tout le temps, prend ses notes sur ses genoux, interrompt le cours par des remarques déplacées pour s’attirer les rires de ses camarades et ne peut pas s’empêcher de faire le malin. Lorsqu’on lui demande de se taire, le kakou dit que c’est trop abusé.
Le kakou a un temps de concentration très court et, même sommé de la boucler, balance des conneries comme s’il était programmé pour pourrir la vie de la classe.
À retenir : – le kakou se définit avant tout par sa revendication personnelle de l’espace, temporel, spatial et social.
– le kakou agit comme un coucou dans une horloge : il est remonté pour sortir mécaniquement des conneries.

Reproduction

Il arrive que les kakous se reproduisent entre eux, mais rarement en salle de classe.
On suppose plus benoîtement que le kakou est issu d’une machine à kakous (ne pas confondre avec une boîte à coucou).

Inadmissibilité

1. Inadmissibilité généralement reconnue

Les professeurs vous le diront : les kakous sont usants, et on en vient rapidement à les détester parce qu’ils empêchent de travailler. Si le kakou devient intenable, on tente même de l’expulser de son habitat naturel, en ayant recours à ce procédé que les naturalistes appellent l’exclusion de cours.
Le kakou se laisse cependant rarement faire et, lorsqu’il est en forme, essaie d’échapper à ses chasseurs. Il recourt lui à plusieurs types de ruses :
– l’embrouille : le kakou répète c’est pas moi qu’ai parlé, c’est pas moi qu’ai parlé. Si le professeur maintient la sanction, le kakou prend à partie ses amis kakous et essaie de fomenter une révolution en se levant et en hurlant au scandale.
– la tchatche : le kakou essaie d’être gentil avec le professeur qui n’a rien compris, msieu on parlait du cours, franchement laissez-moi une chance, jpromets jvais mcalmer.
– l’usure : le kakou refuse de sortir, reste collé sur la chaise, ancre ses deux pieds sur le sol, écarte bien les jambes, croise les bras et dit jpartirai pas.
Ces trois procédés sont généralement aléatoirement combinés par le kakou.
Le professeur, face à ces ruses kakoues, peut solliciter l’aide d’adjuvants souvent prompts à devenir des opposants, à savoir : les autres kakous (chances de réussite : 0,1%, sur un malentendu) ; les autres élèves ; les délégués de classe ; les surveillants ; les CPE ; le proviseur ; le Président de la République (qui connaît généralement bien les kakous, soit parce qu’il en est un lui-même, soit parce qu’il en a dans son gouvernement).

(Célèbre kakou de 1806. A l'époque cependant, on
levait encore le doigt pour avoir le droit de s'exprimer.)

2. Neutralisation des kakous

            On n’attrape pas un kakou dans sa classe comme on chope un rhume en hiver.
Le kakou reste là toute l’année, sauf s’il plante un autre kakou ou un professeur avec un stylo, un couteau ou un cédé de Sexion d’Assaut.
Parmi les procédés notables de neutralisation des kakous, notons :
        – L’exclusion.
     – Le plan de classe : placer le kakou entre Marie-Angélique Wagner, qui fait latin-allemand-option lourde, et Brigitte Duchmolle, l’ennemie personnelle du kakou qui une fois lui a versé une bouteille d’eau sur la tête et lui a ruiné sa permanente.
Ces deux profils se présentent cependant plus rarement dans une classe que celui du kakou, qui a plutôt tendance à (ne pas pouvoir) encadrer Marie-Angélique Wagner. Par ailleurs, dans la mesure où le kakou a la voix qui porte, il se fout un peu de sa place dans la classe tant qu’il en a pour s’exprimer.
     – La force de l’autorité professorale (hurlements de rire).
    – L’humiliation : ce procédé prend du temps et demande au professeur d’imaginer tout un scénario pervers pour que le kakou, rendu ridicule aux yeux de ses camarades, n’ose plus l’ouvrir de peur d’être vilipendé par iceux. Ce procédé est risqué s’il est éventé en salle des profs (le professeur devient alors lui-même un paria kakou qui a perdu son étiquette politiquement correct) ; il demande un fort taux de machiavélisme et/ou de désespoir.
     – Les sédatifs : cette méthode n’est pas légale.
     – La corde à linge : il paraît que cette méthode n’est pas légale non plus.
    – Le passage en boucle d’un cédé de Céline Dion (cette méthode oblige aux dangers collatéraux).
     – Michelle Pfeiffer.

(hurlements de rire)

3. Vraie inadmissibilité du kakou

Cependant ce que ratent généralement les professeurs, c’est l’inadmissibilité esthétique du kakou.
Attention : il ne s’agit pas de prétendre que le kakou s’habille mal ou est affreux à regarder. Il y a en effet des kakous laids et des kakous beaux, même s’ils fréquentent les mêmes crémeries.
Ce qui ne change pas en revanche, c’est que le kakou, issu de sa machine à kakous, est interchangeable et indissociable d’un autre kakou dans l’espace de la classe. Le kakou agresse : c’est un fait – par son attitude, son manque de respect, son vocabulaire et son insolence.

(Professeur se prenant trop pour Michelle Pfeiffer
dans Esprits rebelles.)

Mais il agresse aussi parce qu’il est à lui-même sa propre caricature (un peu comme certains professeurs : voir un article suivant). Le kakou manque très cruellement d’originalité : alors même qu’il revendique une place d’exception dans l’espace-classe, il imite exactement celui de la classe d’à-côté ou du jour suivant (il y a des kakous du jeudi et du kakou du lundi, des kakous de la salle 121 et des kakous de la salle 227b ; et ainsi il n’y a pas une meilleure cuvée kakoue qu’une autre).
D’où cette hypothèse : ce qui pourrait détruire le kakou de l’intérieur, serait de prendre conscience qu’il n’est qu’un nain de jardin monté sur ressort et bande-magnétique.
Ou pas.