lundi 19 décembre 2011

Chat suffit!

Les internautes ont un vrai souci avec les chats. Quand vous n'avez pas affaire à un lolcat (doublement geek: le chat qui joue à Star Wars), vous pouvez toujours essayer le Catscan ou My Cat is a Dick. Mais pour les non-inités l'incompréhension culmine avec le Nyan Cat, "également connu sous le nom de Pop Tart Cat", nous indique Wikipédia. Il s'agit d'une tête de chat montée sur un corps en gâteau (les Pop tarts en question, dont le nom indique assez qu'au marketing de Kellogg's® on aime rigoler) traversant l'espace porté par un arc-en-ciel sur une musique de clavier électronique. À côté Planet Unicorn est a) passionnant b) straight [et ici, mon Nyan Cat préféré, façon geek au carré].

(Notons, à droite, la vidéo étendue sur 10 heures de temps
et les variations subtiles: à plusieurs chats ou au Mexique)

Il est pourtant facile de se moquer des geeks alors qu'ils veulent juste nous instruire. Puisque de toute évidence l'article Wikipédia sur les Nyan Cats est rédigé par l'un d'eux, le Nyan Cat est vendu comme un instrument ludique et scientifique. Tenons-nous bien: "Il illustre le paradoxe du chat et de la tartine de confiture". Vos vacances de Noël brillent avec un éclat tout particulier quand vous consultez la page du même Wikipédia sur le Paradoxe du Chat Beurré: la tartine tombe toujours sur le côté beurré, le chat retombe toujours sur ses pattes. Mettez une tartine beurrée tête en l'air sur le dos d'un chat et jetez-les dans le vide: le beurre et les pattes du chat tentent d'atteindre le sol en premier; du coup le paquet chat-beurre ne peut atteindre le sol et reste accroché en l'air, éventuellement en tournant selon quelle force, du beurre ou du chat, prend le dessus. Si. Il y a des gens pour penser à ça.


Précisons: la vidéo du Nyan Cat originale a été consultée, sur youtube, plus de 53 millions de fois. Heureusement le clip de Lady Gaga Bad Romance a été consulté plus de 434 millions de fois sur le même site. On notera, ci-dessous 655 visionnages seulement pour le Lady Gaga Nyan Cat: enfantement monstrueux qui aurait mieux fait de garder le placard comme Tom Cruise au pays des licornes.

mercredi 7 décembre 2011

Inadmissible, j'écris mon nom (3/4)

My name is Blond
(or a first name, or whatever)


L'inadmissible est ici, pour poursuivre sur la lancée du Taylor-isme, celui de la confusion. Pour tenter de mieux cerner cet intéressant phénomène, le chercheur qu'un powerpoint effraie (ce mot n'est même pas dans le Robert) s'est ici livré au délicat exercice du schéma, ce qui 1) lui a pris trois milliers d'années 2) l'a bien consciencieusement dégoûté des blondes. Parce que oui, lecteur: il est ici question de jeunes actrices blondes nés après 1980 que dire interchangeables consisterait à insulter, mais qui sont à même de provoquer sur la rétine et à l'oreille – on le verra – une forme de confusion dommageable pour la juste appréciation 1) de l'industrie du cinéma 2) des ragots people.
Ce qui suit est un schéma simple, parce qu'en littérature on n'a normalement pas le droit de procéder par schéma et que, depuis le lycée, l'habitude s'en est perdue (le chercheur s'encanaille comme il peut); sont indiqués en italique, sur les flèches bleu océan, les points de contact entre les blondes (le premier qui lance 'une synapse, quoi', est prié de verser une contribution au Monsieur qui fait Les Chevaliers du Zodiaque: la série abrégée pour qu'il réalise enfin l'épisode de la maison des Poissons). Lançons-nous donc, lunettes sur le nez et oreille aux aguets, dans la galaxie des blondes.




mardi 6 décembre 2011

Inadmissible, j'écris mon nom (2/4)


Le rapport parfois étrange entre chanson et Hollywood est un sujet captivant pour qui se donne la peine d’étudier l’inadmissible contemporain. C’est aussi pour le chercheur cuistre que je suis l’occasion de me livrer à une non moins inadmissible session de name-dropping, pour le plaisir de ce qu’on a coutume d’appeler après lecture des procès verbaux de Lindsay Lohan « le vertige de la liste ».

Munie d’un micro et de vêtements trop petits, la chanteuse aime la lumière des projecteurs et les partenaires sexuels potentiels qui lui sont proposés à chaque vidéo-clip, mais une question existentielle demeure pour elle, soulevée dans une chanson métadiégétique de Britney Spears : « Mais s’il ne manque rien à ma vie, comment se fait-il que je pleure la nuit ? » (Lucky, 2000). La réponse tient à un mauvais script.

Le désir profond de la chanteuse pourrait bien être celui de faire l’actrice. Mais les destins sont croisés, à la faveur d’une détermination à faire parler de soi que chanteuses et actrices américaines ont en commun. Aussi, que les chanteuses se sentent une âme d’actrice et finissent même par changer de carrière (et de couleur de cheveux, Mandy Moore), ou que des actrices poussent la chansonnette pour le petit écran (Gwyneth Paltrow dans Glee) ou pour rien (Tatyana Ali) : tout est bon pour donner de la voix.

On se gardera bien cependant de parler de rapport dialectique, et ce malgré le risque de voir le « film de chanteuse » devenir un genre à part entière, propre à constituer cet Aufhebung. Car bien sûr, il ne saurait être question ici des comédies musicales faisant confiance à des chanteuses pour tenir la note (Lauryn Hill, Sister Act 2 en 1993 ; Madonna, Evita en 1996), parce que là, c’est tricher. On tentera donc d’établir une typologie des participations des chanteuses à un projet strictement cinématographique (lol) selon l’importance – parfois le poids – de leur importance au montage.

a) Premier rôle :

Oui, nombreuses sont celles qui, inspirées par l’exemple illustre de Whitney Houston (jeune) ont tenté de s’en sortir aussi bien qu’elle dans une fiction. Par ordre de dignité : Aaliyah en vampire égyptienne (La reine des damnés, 2002), Beyoncé en Diana Ross (Dreamgirls, 2006), Britney Spears en jeune première, alors qu’on l’attendait davantage dans une adaptation de La Cantatrice chauve (Crossroads, 2002), Mariah Carey en elle-même (Glitter, 2001), Christina Aguilera enfin, qui dans Burlesque (2010) prend très très Cher…

b) Vrai (second) rôle :

Rappel d’études cinématographiques US : un second rôle est un premier rôle mais de second plan, réservé dans l’industrie du film aux interprètes afro-américains. Ceci posé, on peut relever la performance réalisée par ces tragédiennes en herbe, luttant pour que soit enfin reconnu leur talent. Ainsi Christina Milian tient-elle un vrai rôle d’hypocrite, interprétant sobrement dans Be Cool (2005) le titre « I’m a beliver (je suis croyante) » alors que 2 ans plus tôt elle se roulait à moitié nue dans le goudron (Dip it low). Vrai rôle de fausse moche pour Janet Jackson dans la suite d’un film qui n’en méritait pas (La famille Foldingue, 2000) ; d’emmerdeuse qui meurt de bon sens pour Brandy (Souviens-toi l’été dernier 2, 1998) ; et enfin de fille dont le protagoniste pourrait bien retomber amoureux (Samanta Mumba, The Time-Machine, 2002)… J’en oublie peut-être mais mon goût de l’exhaustivité ne m’a quand même pas poussé à voir le film de l’ex Destiny’s Child Kelly Rowland (The Seat Filler, 2004), de Jessica Simpson (Shérif fais-moi peur, 2005), de Norah Jones (My Blueberry Nights, 2007), ni même de Jessica Mauboy (Bran Nue Dae, 2009), australien il est vrai.

c) Featuring (oui, comme dans un tube de R’n’B) :

La terminologie changeant d’un domaine d’étude à l’autre, il n’est pas courant au cinéma de parler de featuring (apparition), réservé à la musique où le terme désigne la participation ponctuelle d’un interprète sur le titre d’un autre mais n’allant pas jusqu’au duo. À l’écran, on parle en général de « silhouette » ou de « potiche ». Néanmoins dans le cas de chanteuses se compromettant dans des films mais pas par leur jeu, on est bien en droit d’utiliser le terme, gageant qu’en matière d’inadmissible, l’essentiel c’est de participer. Cédant donc au principe de la gratuité pure, on voit apparaître Pink dans Charlie’s Angels Full Throttle (2003) ; Avril Lavigne dans Canadian Pie (2004) ; mais sans nous substituer à nos estimés collègues des « Razzie Awards », on peut quand même attribuer la récompense de la performance la plus vaine à Joss Stone, pour son apparition quasi-ectoplasmique dans Eragon (2006), abattant par KO la potichitude de Gwen Stefani, mal aperçue en Jean Harlow dans Aviator (2004).

d) Blondes à voix :

Restent les pauvres hères qui tentent tout pour être vues et immédiatement moquées, mais pour lesquelles une qualité particulière transcende les interprétations dramatiques comme musicales jusqu’à passer pour leur entéléchie : la vulgarité. On pense immédiatement à Paris Hilton, que rien n’arrête. Mais alors qu’un blog entier devrait se consacrer à son inadmissibilité (je ne parle pas de celui de son jumeau maléfique, Perez Hilton, déjà existant), contentons-nous de rappeler que non contente d’avoir ravi des millions de non-fans en consentant à mourir dans La Maison de cire (2005), elle a également attiré l’attention de la communauté scientifique par une fracassante vérité immuable de l’univers, et en chanson : « Stars are blind », que ne fût-elle pas stellaire à son tour. Enfin, pour finir pêle-mêle sur ce glorieux phénomène culturel qu’est le poly-carriérisme de la femme anglo-saxonne, celle qui sait tout faire : Scarlett Johansson ; celle qui ne sait rien faire : Lindsay Lohan ; et celle dont on ne sait que faire : Jennifer Lopez.

dimanche 4 décembre 2011

PIMP YOUR PET

Dès le Moyen-Âge, époque où la pensée ne s’effectue qu’en termes de grandes dichotomies, les marges des bréviaires et livres d’heures sont truffées de représentations d’animaux anthropomorphisés où généralement les rôles entre humains et animaux sont inversés afin de railler la bêtise humaine (ou l’humanité bête). À la fin du 16e siècle, des gravures composées de grilles offrant plusieurs scènes indépendantes d’inversion, et presque toujours intitulées « le monde à l’envers », témoignent de la volonté de subversion de l’ordre existant. – Que ce soit entre règne animal et humain, où les proies se vengent de leurs prédateurs : les souris chassent les chats, les moutons tuent les loups ou tondent les têtes humaines, les cochons pendent les humains par les pieds pour en faire de la charcuterie, les oiseaux gardent les humains en cage, et même les arbres prennent leur revanche en sciant des hommes pour en faire des planches. – Ou qu’il s’agisse d’une inversion même des rôles entre homme et femme puisqu’il n’est pas rare de trouver des gravures représentant une femme battant son mari. Il s’agissait d’une parodie très répandue de la prise de pouvoir par les femmes, idée considérée comme absurde par le clergé masculin et donc abondamment représentée dans les bas-reliefs de miséricordes afin de décourager les plus féministes.

Au 20e siècle, on observe la réactivation de ces inversions des mondes dans la littérature (Georges Orwell, La Ferme des animaux, 1945 ou Pierre Boulle, La Planète des singes, 1963), puis dans le cinéma. Rappelons-nous notamment de cette célèbre scène des Monty Python dans Sacré Graal (1975) où un adorable petit lapin blanc s’avère être un tueur impitoyable qui l’emporte sur les chevaliers du Roi Arthur dans une orgie sanglante. Mais revenons à nos moutons.

Dans la vie réelle, c’est dès la Renaissance qu’on trouve des exemples d’animaux (chiens, singes) vêtus d’habits cousus sur mesure, faisant d’eux des petits humains facétieux destinés à distraire leurs maîtres. Cette pratique a perduré au fil des siècles, menant à des développements aussi ingénieux que fantasques. Les animaux de compagnie, principalement les chiens et les chats, se voient dorénavant affublés de toutes sortes de vêtements : qu’ils soient d’ordre pratique (contre les intempéries) ou purement inutiles afin de les rendre ridicules (et donc de permettre à leurs gentils maîtres de se payer une bonne tranche de rire) ou de les faire ressembler à des petits enfants (et donc de combler un vide affectif ou un besoin d’enfant insatisfait).

Mais au 21e siècle, une tendance proprement déviante et inadmissible voit le jour et nous interpelle sur l’efficacité du rôle de Brigitte Bardot (Brigitte, arrête d’inciter à la haine raciale et occupe-toi donc des bêtes). En effet, lassés de devoir coudre petits manteaux, bonnets et autres accessoires que leurs amis canins et félins détruisaient en signe de rébellion contre cette domination de l’homme sur l’animal, certains homines sapientes ont trouvé la solution en choisissant de les transformer en intervenant directement sur le pelage de l’animal, évitant ainsi le saccage de dures heures de labeur. Ainsi donc était né le mouvement « Pimp Your Pet », possédant déjà une certaine popularité en Chine et aux États-Unis où des présentations publiques et des concours sont organisés.

On observe au moins 3 tendances dans ce mouvement :

a) vous avez toujours rêvé d’avoir un animal sauvage mais la loi vous l’interdit ? Pas de problème, il vous suffit de prendre votre animal de compagnie, de la teinture, une photo de l’animal tant désiré et avec un peu de patience et une extrême application le tour est joué. Vous pouvez vous faire aider par un tiers, de préférence quelqu’un-e possédant une formation coloriste. Votre chowchow peut ainsi devenir un panda et votre golden retriever un tigre du Bengale sans avoir les inconvénients de devoir vous fournir en bambous pour son déjeuner ou de craindre une morsure mortelle.

b) votre animal est un con, il vous en fait voir de toutes les couleurs, et vous voulez vous venger ? Pas de problème, là aussi il vous suffit de prendre votre animal de compagnie, de la teinture, une idée diabolique ou saugrenue et avec un peu de patience et une extrême application le tour est joué. Vous pouvez par exemple peindre votre chat du magnifique motif écossais rappelant celui de votre canapé pour que, grâce à l’effet camouflage, on s’asseye de tout son poids sur l’animal tranquillement en train de pioncer (Ah pardon Félix, j’t’avais pas vu, m’en veux pas surtout hein). Vous pouvez également en faire la risée du voisinage en peignant par exemple son arrière-train de façon humoristique : il se prendra ainsi quelques bonnes tannées par les mâles dominants (Je te l’avais bien dit de ne pas aller traîner n’importe où, c’est bien fait).

c) vous vous êtes toujours senti une âme d’artiste mais vous êtes nul en dessin ? Pas de problème, votre animal de compagnie, grâce à sa forme volumétrique vous aidera à réaliser vos idées les plus folles. Armez-vous de ciseaux, tondeuses, teintures et autres accessoires et laissez libre court à votre créativité. Dans un souci d’art total, vous pouvez vous aussi vous déguiser selon le thème choisi. Vous pouvez par exemple rendre hommage à de grands films comme Pirate des Caraïbes ou Lawrence d’Arabie, donner vie à votre tortue ninja préférée ou, en restant dans le registre de la fiction, évoquer la conquête spatiale. Vous trouverez plus d'idées créatives ici.

Défenseuse invétérée du mouton et du vison, Brigitte donc, on se demande vraiment à quoi tu sers et nous proposons la création d’un comité pour la dignité des animaux où ceux-ci, dans un souci de rétablissement de la morale et de l’éthique bafoués, se verraient le droit de poursuivre leurs maîtres abusifs. Une seule sentence : œil pour œil, croc pour dent.

Inadmissible, j’écris mon nom (1/4)

My Taylor is bitch

L’ambition de ce blog, à travers le Centre de recherche qui le supporte, est de traiter des formes d’inadmissibles contemporains sous l’angle des sciences humaines. Mais nous, chercheurs en sciences humaines, avons également la prétention de mettre en scène des goûts (parfois) inadmissibles : car l’inadmissible, c’est (aussi) nous. Qui n’a jamais possédé le cédé des Spice Girls ou feuilleté Voici nous jette la première pierre numérique.

En quatre volets, ce sont donc nos goûts inadmissibles en matière de jeunes stars d’une vieille industrie que nous déclinerons dans la série présentement ouverte. Et si vous ne connaissez pas les noms ici affichés, c’est que vous avez sans doute préservé une forme d’innocence et de purisme culturels. Nous ne vous en félicitons pas.

Le premier volet de cette série s’intéresse aux jeunes Taylor dont Google nous donne d’emblée les patronymes:



Taylor Lautner (1992) est le seul mâle du trio ; il est connu pour jouer Jacob le loup-garou dans l’infâmante série Twilight (2008-2012), qui est au féminisme ce que le Baygon® est aux insectes ; et avoir pris, entre le premier et le deuxième volet, 15 kilos de muscles – raison pour laquelle les réalisateurs des derniers épisodes l’obligent régulièrement à ôter son t-shirt pour, par exemple, courir sous la pluie. Tout fluet auparavant, Lautner incarne la revanche des seconds rôles dans la vie : il est maintenant plus convoité par des hordes d’adolescentes qu’un inédit de Barthes par un troupeau de chercheurs.

Taylor Swift (1989) est aussi lisse de blondeur que Lautner de matité. Soyons clairs, Swift n’est quasiment pas connue du public majeur en France – votre seule chance de l’apercevoir est de traîner devant les étalages de la presse people et adolescente ou de forcer la porte de votre nièce de douze ans : Swift, grandeur nature, trônera entre les posters gondolés de Lautner et des Jonas Brothers. Taylor Swift joue de la musique country et s’est fait rembarrer par le rappeur Kayne West, ce qui a provoqué l’ire du président Obama. Fille bien sous tout rapport, Swift, malgré son jeune âge, a été vu en compagnie de serial tombeurs comme John Mayer ou Jake Gyllenhaal.

Taylor Momsen (1993) est la plus drôle des trois, parce qu’elle s’habille, se coiffe, s’exprime et mène sa vie n’importe comment. Elle a tenu le rôle d’une jeune fille effarouchée dans Gossip Girl (2007-2010) et a fini par lâcher l’affaire parce que son vrai kiff, c’était la musique, et que les pouffiasses avec lesquelles elle jouait pour la télévision, franchement, elles n’étaient pas assez sales. Momsen se plaît à entretenir autour d’elle un petit parfum de soufre qui, vu de loin, semble aussi forcé qu’un sourire sur le visage de Victoria Beckham.



Que sort-il de cette énumération ? Rien : car si vous ne connaissiez pas les Taylor auparavant, vous les avez déjà tous confondus à cette minute. Et c’est en cela qu’ils méritent de figurer ici, productions à la chaîne de l’industrie américaine, qui par leur multiplication deviennent inadmissibles. Les Taylor ne se ressemblent pas tout à fait, mais ils se confondent, comme Atchoum et Timide dans un jardin de banlieue.


À venir : De la chanson au cinéma, itinéraires ratés.

samedi 3 décembre 2011

MAL FAIT / PAS FAIT / TROP FAIT (de chasse)





(Paul Giamatti dans L’Illusioniste de Neil Burger, 2006)


Les trophées de chasse font peur ; c’est là leur premier rôle. Ils font peur esthétiquement (il s’agit quand même d’une tête d’animal empaillée ou de bois d’un animal mort qui vous regarde, le truc répugnant par excellence) ; ils font peur humainement (il s’agit quand même de poser toute l’horreur dont on est capable sur ses murs).

Clouée au mur, la tête d’animal mort est peut-être le premier inadmissible que vous avez su reconnaître, même si (et surtout parce que) vous n’en aviez jamais vu en vrai. En revanche vous en avez croisé un certain nombre dans vos lectures, pires encore parce qu’il fallait les imaginer – en suivant Sherlock Holmes dans le château des Baskerville, par exemple : « Nous examinâmes curieusement les hautes et longues fenêtres aux vitraux multicolores, les lambris de chêne, les têtes de cerf et les armes accrochées aux murs — le tout triste et sombre sous la lumière atténuée d’une lampe accrochée au milieu du plafond » (Le Chien des Baskerville, Arthur Conan Doyle, 1901-1902, chapitre 6).

Mais l’angoisse suscitée par pareille description n’est rien en comparaison de ce passage d’un « livre dont vous êtes le héros » : « La pièce dans laquelle vous entrez est une salle à manger, avec des tables, des chaises, des étagères et une collection de têtes d’animaux accrochées aux murs. […] Soudain, l’une des têtes se tourne vers vous et vous observe. C’est un chien. Il se met à aboyer en signe d’avertissement. » (La Citadelle du chaos, Steve Jackson, 1983, n° 104 ; peu de temps après, vous mourez. Mais dans ce livre, c’était monnaie courante).

Pour coller au sujet, soyons donc réacs avec lui : le « livre dont vous êtes le héros », quand bien même il est inadmissible en tant que livre (pour vous mener à l’idée que la littérature est faite d’interprétations multiples, nous vous donnons à lire une histoire qui peut se dérouler de multiples façons : SOS métaphore relou, bonjour !), est toujours plus admissible que cet autre outil ludique, le jeu vidéo. Parce que sur console aussi vous pouvez traquer les bêtes et les clouer dans votre salon ; oui, votre horizon vient de formidablement s’élargir.


Les chasseurs eux-mêmes ne peuvent pas croire que le trophée est décoratif ; mais il signifie quelque chose, de leur nature et de la façon dont ils veulent en faire l’article (le trophée de chasse s’expose dans sa salle à manger, pas dans la chambre à coucher – sauf à parler des cougars).

Mais hors la fiction, le trophée de chasse est foncièrement inadmissible : il est Républicain (Sarah Palin), il exalte la chasse, la mort comme triomphe, les vieilles peaux mitées (Sarah Palin encore) ; il est vrai que l’animal empaillé, chez les anglophones, est entre autres dit stuffed, ce qui peut aussi bien désigner un animal en peluche, une tête d’animal empaillée, voire une dinde farcie (Sarah Palin, décidément) – principe d’équivalence un rien étrange, que la mauvaise foi francophone aurait tôt fait de tourner en dérision.

Or ne sont-ils pas pires encore, ces trophées de chasse, quand on leur retire tout leur folklore morbide pour n’en faire plus que d’inoffensifs objets décoratifs, kawaii tout plein ? Ce sont finalement ces derniers qui effraient le plus, et ce pour deux raisons a) ils témoignent d’un goût incertain b) leur existence n’a pas lieu d’être, et ils n’ont rien compris à la vie.





jeudi 1 décembre 2011

La montée du Calvaire





Depuis 1884, la société des artistes indépendants tient annuellement salon, pour le plus grand plaisir du public. Et chaque année le phénomène se reproduit : c’est les yeux continuellement écarquillés que l’on fait le tour de l’exposition. Le principe et aussi l’intérêt de la société depuis sa fondation tient à cette devise : « ni jury, ni récompense ». Par là il s’agissait de s’extraire du carcan académique élitiste et bêcheur qui avait recalé les artistes du « vrai » Salon de peinture et de sculpture de 1863. L’histoire raconte que ce salon obtint un immense succès populaire. Les gens se pressaient pour pouvoir se gausser devant le travail brouillon et grotesque des losers, ces nuls qui avaient le culot d’exposer quand même ! Édouard Manet avec son Déjeuner sur l’herbe en était. Sans doute à cause de leur sale caractère, allié à la radicalité de leur technique, en un mot à cause de leur modernité, ceux qui s’étaient vu fermer les grandes portes avaient obtenu de l’Empereur le droit d’y pénétrer par l’entrée de service. Ce fut la première et seule édition du « salon des refusés ».






Cette formidable impulsion indépendantiste a ensuite donné naissance à la fameuse Société, laquelle ne pouvait manquer de faire les mêmes erreurs que l’Académie et acceptait donc en son sein tous ceux qui s’en sentaient dignes. À leur salon – c’est ce qui apparaît en premier sur les statuts de l’association – point de recalés parce que point de censeurs. Pour cette raison, on s’explique mal l’éviction du tableau de Marcel Duchamp Le nu descendant un escalier à l’exposition annuelle de 1912, mais qu’importe ! Le même esprit moderne et frondeur souffle sur l’actuel salon de ces indépendants, qui se tient au Grand Palais sous l’appellation « Art en capital ». Fini le diktat des bourgeois. Plus de tabou, plus de scrupules, ici on tolère de voir du vrai nu, des vrais matériaux, du vrai gribouillage gestuel. On s’autorise même le tableau d’inspiration religieuse, mais résolument plus écolo, plus champêtre, et avec cela plus iconoclaste. C’est encore peu dire de l’audace qui a présidé à cette crucifixion des coquelicots, dans une débauche virtuose d’écarlate et d’incarnat. Comment réagiraient-ils, les badauds sous Napoléon III, devant pareil spectacle ? Ils se tiendraient les côtes. Et franchement, sans craindre pour la fortune future de ces croutes capitales, on peut bien faire de même.




vendredi 18 novembre 2011

Coule la résine / S'agglutine le venin (Alain Bashung)





L'inadmissible, c'était l'hypothèse d'un précédent article, trouve son origine dans le nain de jardin (et si la France est un jardin...). Le nain de jardin en effet semble être la forme prototypique de tout inadmissible, son modèle parfait, le meilleur exemple attaché à cette catégorie si l'on se fonde sur la sémantique du prototype (Eleanor Rosch, Hilary Putnam, Georges Kleiber). Et l'animal en résine décoratif grandeur nature est une déclinaison de ce prototype.
Signes d'un exotisme au rabais, ces répliques d'animaux n'ont rien à faire sous nos latitudes ou dans nos jardins d'urbains: pourquoi se procurer l'animal en résine quand on peut avoir un vrai dindon, quand on a l'espace nécessaire au vrai dindon (et l'espace, les deux photographies en font étalage)? La petite fille de la première image, certes, n'aurait pas pu poser si sagement avec l'animal vivant; l'animal en résine, lui, ne risque pas de chier dans la colle. Mais c'est ainsi qu'on forme des armées d'impuissants naturalistes, qui croient que:
1) l'animal n'est que décoratif (cf. l'article à venir sur les trophées de chasse)
2) la décoration de bon ton se fait toujours en résine (voir "La lampe et le vice").

Ces animaux à hauteur d'homme (à tel point que la petite fille s'agenouille pour être au même niveau que le dindon, qui puisqu'il n'est pas vivant -- mais pas mort pour autant, attention --, ne peut pas se pousser du col) sont d'autant plus inadmissibles par leur proximité, sur chacune de ces deux photographies, avec des humains amateurs de résine. Le contraste, nous l'évoquions avec l'abaissement de la petite fille, n'est pas du tout en faveur de l'humain, qui semble presque plus coincé que l'animal exposé. Ainsi le crocodile, mis en scène face à l'hippopotame lymphatique, attire la lumière pendant que l'événement, ainsi qu'il est désigné par la légende, bat son plein, ça oui.
C'est la fête.
Les humains à l'arrière plan, hors de la lumière du premier, tournent d'ailleurs résolument le dos aux 16 kg de la bête (pour le crocodile: il faut imaginer que l'hippopotame leur appartient et qu'il était déjà en place: n'oublions pas que c'est une soirée entre gens de goût).
On remarquera la robe de la petite fille et son serre-tête fantaisie, dont le bleu est idéalement assorti à la robe du dindon, même si on eût préféré de simples lignes, et pas ces carreaux qui cassent un peu l'ambiance. Des deux, du dindon et de la fillette (celui qui a pensé "de la dinde" est prié de verser une participation à la British Kunekune Pig Society), on ne sait lequel a choisi ses couleurs en fonction de l'autre.


mardi 8 novembre 2011

Un long champ pour l’hiver




Pablo Picasso disait que le goût est l’ennemi de la créativité. Et pourtant ne les trouve-t-on pas réconciliés dans cette étonnante pièce de maroquinerie ? Évoquant avec poésie la venue de l’hiver, le décor de ce sac de gabarit moyen, dont la moquette colorée a la douceur de la première neige, rend hommage à l’art des écoles du nord. Au sein d’une composition dont le premier mérite est la circularité des formes, se distingue un paysage rural offrant à la fois diversité et simplicité. Bien que la scène en elle-même soit directement inspirée du célèbre Paysage d’hiver de Brueghel le Jeune, la ligne d’horizon, assez basse, ne manque pas d’évoquer les vues pastorales de Ruysdael. Flanqué d’une version arctique des animaux de la Crèche, un pingouin et un renne de Svalbard attirent l’attention sur la précision anatomique des figures.



Une église romane caractéristique des édifices religieux bâtis sous le roi Philippe II (né à Gonesse en 1165), irradie le deuxième plan de sa tranquille majesté. Les amateurs d’architecture reconnaîtront sans peine la silhouette poitevine de l’église Saint-Pierre de Parthenay-le-vieux encore que la façade harmonique, pourvue de trois portails pour se signaler plus aisément aux fidèles, ne manque pas d’évoquer l’église Notre-Dame à Surgères (Charentes-Maritimes). Enfin, et bien que la chose fût plus rare dans l’art d’inspiration flamande, ce paysage tacheté d’astérisques de fil d’or se veut sans doute une description délicate de la nuit de l’Avent.



Ne nous laissons donc pas tromper par l’aspect général kawaï de ce splendide sac L… de série limitée, dont la fermeture éclair est ornée d’un adorable petit bonhomme de neige : il s’agit bel et bien du plus vibrant hommage que la célèbre marque de maroquinerie française pût rendre à la longue tradition picturale des scènes populaires magnifiquement traitées par les peintres du Nord. Que l’on s’en persuade au vu du prix, modique, fixé à 240€, dont même les plus modestes pourront s’acquitter pour jouir cet hiver de toute la magie de l’art.



lundi 7 novembre 2011

Plaza Saint-Hubert, Montréal





La multiplication des nains

Le nain de jardin est le prototype de l'inadmissible. Cette hypothèse de départ, appuyée sur le titre proposé, nous permettra de cerner rapidement deux caractéristiques de l'inadmissible.

1) L'inadmissible est, lors de son apparition au monde, admissible. Objet d'un quotidien cossu, l'admissible de la première heure, par son usure, la litanie décorative dont il est l'objet, devient inadmissible. L'inadmissible serait donc d'être la version déliquescente d'un ancien admissible (si vous pensez à Brigitte Bardot, faites un don à la SPA)

2) L'inadmissible est devenu tel par sa duplication, sa multiplication, sa diffusion sur tous les continents, et sa capacité surnaturelle à s'entourer d'inadmissibles semblables à lui. Un peu comme les Sarko-Boys, l'inadmissible vient en effet souvent en meute et assomme par sa redondante lourdeur.

Pareille proposition ne pouvait être qu'entourée par deux images de la Plaza Saint-Hubert montréalaise. Interminable rue entièrement composée de commerces sous galeries couvertes (et sans doute à dessein: on a forcément envie de cacher pareilles beautés), la Plaza Saint-Hubert présente des boutiques inadmissibles dans une proportion qui effraie le chaland. Ledit chaland peut y supposer un regroupement thématique: se font par exemple face, quasi-symétriquement, deux boutiques estampillées "électronique", en réalité joyeux fourre-tout à même d'engloutir vos pièces de deux dollars. L'une de ces deux vitrines est colonisée par des santons de taille aléatoire; le soleil de l'après-midi éclaire l'étagère supérieure et, passant sur les Christs, tape en plein sur un enfant pourpré. On notera la présence incongrue d'un perroquet, qui, s'il adopte à merveille les couleurs de ses voisins, jure par son caractère profane (sauf à supposer qu'"Un coeur simple" a présidé à l'organisation des étagères, et cette supposition reste impossible à tout esprit sain). Jésus, dont on n'ose ici compter les images, multipliait les pains : dans une parodie grimaçante, le Commerce a multiplié les nains, et Jésus est désormais l'un d'eux.

Un peu plus haut dans la rue, les boutiques s'appliquent à vous préparer un mariage qui rendrait jaloux Miss Camping. Les robes criardes en papier crépon précèdent les chaussures de mariage satinées sur fond rose. Toutes d'un modèle différent, ces souliers sont pourtant étonnamment semblables; ils occupent l'entièreté de la vitrine. Nonobstant l'unijambisme primaire vertigineusement affiché par le commerçant, la société de protection dudit affiche fièrement "Sprint".





samedi 5 novembre 2011

Montréal, Barbie tue Rick



Il s'agit plutôt d'un Barbara Cake-Land. Mais tous les jeux de mots ne se valent pas. Cette Barbie, aux côtés d'un Holy Bible Cake, faisait sa petite moue de "j'ai perdu mon sac à main en chantilly" à travers la vitrine d'un artisan que l'on situerait quelque part entre le Plateau et le Mile End. La coïncidence temporelle avec Halloween sous-tendait son inadmissibilité. Barbie tue Rick est en effet pléonastique: Barbie tout sucre tout miel, au carré. Ou alors, de la part du pâtissier, cette lucidité de faire ressortir, sur Barbie, sa vraie nature d'un début de diabète.

Quand les cochons voleront



Fire Island, été 2010.



La lampe et le vice


Elvis apparaît à la fenêtre, surmonté par une ampoule allumée qui mime son génie. On imagine, dans l'ombre, les lampes de James Dean, Michael Jackson et John Lennon qui l'attendent pour finir une petite belote. Mais le vice n'attend pas: Elvis est allé s'en griller une, regardant passer les filles, sans penser à sa machine à laver délaissée dans la vitrine de Papineau, à Montréal. On imagine que pareille lampe meuble seule un salon. Espérons que les heureux possesseurs s'assoient par terre.