samedi 3 décembre 2011

MAL FAIT / PAS FAIT / TROP FAIT (de chasse)





(Paul Giamatti dans L’Illusioniste de Neil Burger, 2006)


Les trophées de chasse font peur ; c’est là leur premier rôle. Ils font peur esthétiquement (il s’agit quand même d’une tête d’animal empaillée ou de bois d’un animal mort qui vous regarde, le truc répugnant par excellence) ; ils font peur humainement (il s’agit quand même de poser toute l’horreur dont on est capable sur ses murs).

Clouée au mur, la tête d’animal mort est peut-être le premier inadmissible que vous avez su reconnaître, même si (et surtout parce que) vous n’en aviez jamais vu en vrai. En revanche vous en avez croisé un certain nombre dans vos lectures, pires encore parce qu’il fallait les imaginer – en suivant Sherlock Holmes dans le château des Baskerville, par exemple : « Nous examinâmes curieusement les hautes et longues fenêtres aux vitraux multicolores, les lambris de chêne, les têtes de cerf et les armes accrochées aux murs — le tout triste et sombre sous la lumière atténuée d’une lampe accrochée au milieu du plafond » (Le Chien des Baskerville, Arthur Conan Doyle, 1901-1902, chapitre 6).

Mais l’angoisse suscitée par pareille description n’est rien en comparaison de ce passage d’un « livre dont vous êtes le héros » : « La pièce dans laquelle vous entrez est une salle à manger, avec des tables, des chaises, des étagères et une collection de têtes d’animaux accrochées aux murs. […] Soudain, l’une des têtes se tourne vers vous et vous observe. C’est un chien. Il se met à aboyer en signe d’avertissement. » (La Citadelle du chaos, Steve Jackson, 1983, n° 104 ; peu de temps après, vous mourez. Mais dans ce livre, c’était monnaie courante).

Pour coller au sujet, soyons donc réacs avec lui : le « livre dont vous êtes le héros », quand bien même il est inadmissible en tant que livre (pour vous mener à l’idée que la littérature est faite d’interprétations multiples, nous vous donnons à lire une histoire qui peut se dérouler de multiples façons : SOS métaphore relou, bonjour !), est toujours plus admissible que cet autre outil ludique, le jeu vidéo. Parce que sur console aussi vous pouvez traquer les bêtes et les clouer dans votre salon ; oui, votre horizon vient de formidablement s’élargir.


Les chasseurs eux-mêmes ne peuvent pas croire que le trophée est décoratif ; mais il signifie quelque chose, de leur nature et de la façon dont ils veulent en faire l’article (le trophée de chasse s’expose dans sa salle à manger, pas dans la chambre à coucher – sauf à parler des cougars).

Mais hors la fiction, le trophée de chasse est foncièrement inadmissible : il est Républicain (Sarah Palin), il exalte la chasse, la mort comme triomphe, les vieilles peaux mitées (Sarah Palin encore) ; il est vrai que l’animal empaillé, chez les anglophones, est entre autres dit stuffed, ce qui peut aussi bien désigner un animal en peluche, une tête d’animal empaillée, voire une dinde farcie (Sarah Palin, décidément) – principe d’équivalence un rien étrange, que la mauvaise foi francophone aurait tôt fait de tourner en dérision.

Or ne sont-ils pas pires encore, ces trophées de chasse, quand on leur retire tout leur folklore morbide pour n’en faire plus que d’inoffensifs objets décoratifs, kawaii tout plein ? Ce sont finalement ces derniers qui effraient le plus, et ce pour deux raisons a) ils témoignent d’un goût incertain b) leur existence n’a pas lieu d’être, et ils n’ont rien compris à la vie.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire